C’est la sixième newsletter de Word Economy. Une sixième newsletter pour vous faire douze recommandations, le jour de l’éclipse solaire et de la nouvelle lune en Sagittaire ?
6e newsletter.
12 livres
9e signe du zodiaque (je vous parle bien du Sagittaire)
3e signe du zodiaque : le Gémeaux qui a joué à cache cache avec le Sagittaire dans un cycle d’éclipses qui a commencé en juin 2020.
3, 6, 9, 12…
ILLUMINATI!
Ce sera aussi la dernière newsletter de l’année. Si vous souhaitez jouer au jeu de quelle recommandation pour quel signe, je vous ai mis une réponse à la fin de la newsletter.1
J’ai lu tous les livres dont je vais vous parler, lectures que j’ai cessées de chroniques sur goodreads (et quand je dis chroniquer, j’entends donner mille étoiles et écrire « I cried. ») quand je me suis rendu compte du plaisir comptable et tout à fait performatif de ce décompte. Pourquoi est-ce que précise cela ? Peut-être devrais-je plutôt vous dire qu’aucun de ces livres ne m’a été offert ? Je les ai choisis et aucune pub secrète ne se cache dans les mots qui suivent.2
1) Whipsmart, Melissa Febos
It has been my experience that the people I judge most harshly are the ones in whom I recognize some part of myself.
L’expérience m’a montré que les personnes que je juge avec le plus de sévérité sont celles dans lesquelles je me reconnais en partie.
Melissa Febos raconte son expérience de dominatrice dans un donjon new-yorkais en parallèle de ses études à la New School. Plus qu’un essai sur le milieu du BDSM et l’addiction — même si on en apprend beaucoup à ce sujet-là — ce « memoir » raconte la fabrication d’une autrice et de sa plume à un moment (le début des années 2000) où les réseaux sociaux n’ont pas encore explosé. Il y a un côté gonzo involontaire dans cette expérience. A lire avec Girlhood, l’excellent autre “memoir de la même autrice.”
2) Fierce attachments/Attachement féroce, Vivian Gornick
We cannot depend on change, but we can depend on surprise
On ne peut pas compter sur le changement, mais on peut compter sur la surprise.
Vivian Gornick est une autrice et féministe de la deuxième vague. Dans ce texte elle raconte, lors de promenades qu’elle fait avec sa mère, son enfance et son adolescence dans le Bronx des années 50 et 60. On lit ces rêveries de promeneuses solitaires malgré leur lien familial en souriant et en riant, parfois en essuyant une larme quand on réalise à quel point on peut aimer les gens sans jamais vraiment les connaître. Et c’est peut-être la clé des familles heureuses. Je vous laisse avec une citation savoureuse décrivant la mère de l’autrice.
It is only the present she hates; as soon as the present becomes the past, she immediately begins loving it.
Elle ne déteste que le présent; aussitôt que le présent devient le passé, elle se met derechef à l’aimer.
3) The Broken Earth Trilogy/les Livres de la terre fracturée, N.K. Jemisin
Home is what you take with you, not what you leave behind.
Le foyer, c’est ce que l’on emporte avec soi, pas ce qu’on laisse.
Dans un monde menacé par des tremblements de terre aussi incessants que meurtriers, une femme se lance à la recherche de sa fille. Cette trilogie est menée de main de maîtresse. Trouvailles stylistiques, structure… Tout est époustouflant du fond à la forme. N.K. Jemisin nous montre ce que la science-fiction sait faire de mieux : nous montrer tous les possibles d’un futur hypothétique pour mieux nous ancrer dans le présent et l’action que nous pouvons y mener.
4) Matrix, Lauren Groff
Aging is a constant loss; all the things considered essential in youth prove with time that they are not. Skins are shed, and left at the roadside for the new young to pick up and carry on.
Vieillir est un deuil sans fin; tout ce que l’on considérait comme essentiel dans sa jeune prouve ne pas l’être. On se défait de ses peaux, et on les laisse sur le bas-côté pour que la nouvelle jeunesse les prenne et continue leur chemin.
C’est le dernier roman de Lauren Groff que vous connaissez peut-être déjà de Fates and Furies/Les Furies en français. J’ai eu l’impression de me plonger dans un long rêve médiéval, une hallucination de communauté féminine et féministe qui se constitue sous l’étendard fantasmé d’une reine qui marqua la France et l’Angleterre : Aliénor d’Aquitaine. Matrix n’est pas un roman historique, c’est un roman sur toutes les histoires : légende, poétique, d’amour.3
C’est aussi un roman qui me convainc de la nécessité de créer mon propre béguinage, labyrinthe pour y rentrer à l’appui.
5) Téméraire, His Majesty’s dragon, Naomi Novik
It seems to me that if you wish to apply laws to us, it were only reasonable to consult us on them, and from what you have read to me about Parliament, I do not think any dragons are invited to go there.
Il me semble que si vous souhaitez nous soumettre à des lois, il serait simplement logique de nous consulter à leur sujet, et d’après ce que tu m’as lu sur le Parlement, je ne crois pas que les dragons y soient les bienvenus.
Roman jeunesse ou « young adult », la série Téméraire nous plonge en pleines guerres napoléoniennes, mais avec un twist : et si les forces en présence se battaient accompagnées de dragons ?
Sous couvert d’un récit d’aventures que j’ai dégusté avec un grand plaisir (j’en suis au troisième tome), Naomi Novik pose une réflexion sur le colonialisme et l’antispécisme. En effet, comme vous l’aurez compris d’après la citation, ces dragons parlent et la révolte n’est pas loin de gronder.
6) Comme nous existons, Kaoutar Harchi
En vérité mes parents mentaient. Tout était recouvert par le mensonge. Ils mentaient si sincèrement. La sincérité des innocents qui, mentant, luttaient pour conserver le sens d’une vie, le sens sans lequel cette vie se serait écroulée sur ses illusoires fondations.
Cette année, j’ai décidé de lire plusieurs romans de la rentrée littéraire4. Le récit de Kaoutar Harchi est resté avec moi. Un texte court comme une série de photographies de situations qui amènent à réfléchir aux « principes » de l’école républicaine et au concept faussé de transfuge de classe.
J’ajouterai à ça en l’honneur de cette éclipse sous le signe du Sagittaire que c’est le seul livre, avec celui d’Isabelle Sorrente, dont je ne me sois pas dit en le reposant qu’il avait été survendu à coup de bandeaux tape-à-l’oeil et de prix dont il n’est plus besoin de se demander comment ils sont attribués. L’industrie du livre reste une industrie. Et méfiez-vous toujours des romans qualifiés “d’hilarants”.5 Spoiler alert: deux chances sur trois qu’ils vous tombent des doigts.
7) Wolf Hall, Hilary Mantel
I was always desired. But now I am valued. And it is a different thing I found.
J’ai toujours été désiré. Mais maintenant, je suis estimée. Et j’ai découvert que c’était là une chose différente.
Bonne nouvelle, la trilogie est traduite en français. Passionné.es de Tudor -Henri VIII et ses multiples épouses- jetez-vous-y. Et pour les autres ? Pareil. J’ai une story à la une d’ astrolettres qui parle déjà de ce chef d’oeuvre qu’est Wolf Hall. Il y a même un quizz car on ne sort pas le prof de l’astrolittéraire.
J’ai été aimantée par cette somme, ce récit qui parvient à sonder littérairement les confins de l’âme de Thomas Cromwell, un roturier élevé aux plus grands honneurs (transfuge de classe à la sauce 16e). Mais au-delà de Thomas Cromwell, Hilary Mantel dresse une galerie de portraits fascinants, celui des proches d’Henri VIII, de ce roi aux appétits incessants et de ses reines, des femmes “privilégiées” qui luttent désespérément pour gagner un peu d’agentivité.
8) The Vanishing Half/ L’Autre moitié de soi, Brit Bennett
She hadn't realized how long it takes to become somebody else, or how lonely it can be living in a world not meant for you.
Elle ne s’était pas rendu compte du temps qu’il fallait pour devenir une autre, ni de la solitude qui découle de vivre dans un monde qui n’est pas fait pour vous.
Pourquoi et comment peut-on se réinventer, quitter sa propre vie, comme on quitterait une tenue dans laquelle nous sommes trop à l’étroit ? Avec ce roman, Brit Bennett interroge l’Amérique, celle de la différence, de la performativité de la blanchité qui demande aux afro-américains de jouer celle-ci pour tendre à une d’assimilation qui n’est qu’illusion. Haletant et émouvant. Bonus : c’est une histoire de soeurs.
9) Vivre avec nos morts : petit traité de consolation, Delphine Horvilleur
La buée des existences passées ne s’évapore pas : elle souffle dans nos vies et nous mène là où nous ne pensions jamais aller.
Le seul essai en apparence de cette sélection, mais en réalité une série d’histoires, car le deuil c’est cela : vivre avec les histoires de nos morts. J’ai repensé à ce livre après avoir vu « De son vivant » -enfin vu ce que j’en pouvais entre deux explosions lacrymales-. Si nous ne sommes que des histoires alors vivre avec nos morts c’est parler d’eux, ne pas oublier qu’ils font aussi la nôtre et que celle-ci perdure au-delà de notre existence purement physique.
10) Corpsing, Sophie White
I was firm. I had to be. I couldn’t start to hope. It’s a strange reversal when, out of love, you are wishing, even willing someone to die.
J’étais ferme. Je devais l’être. Je ne pouvais pas me laisser espérer. C’est un étrange retournement de situation quand, par amour, on espère, et même souhaite la mort de quelqu’un.
Ici, on retourne au genre du « memoir », cette sorte d’essai autobiographique presque romancé propre à la littérature anglophone. Sophie White est une autrice irlandaise et cette série d’essais sur sa santé mentale qui a été mise à mal par une expérience avec des psychotropes un peu violente m’a passionnée. Avec beaucoup d’humour, de franchise et une certaine rudesse parfois, Sophie White nous explique comment la drogue, l’amour, la maternité, mais aussi l’expérience de perdre son père induisent un état très particulier : sortir de son corps.
11) The Chronicles of Saint Mary’s, Jodi Taylor - Traduit !
In this century, as in any other, men wore the comfortable, practical stuff, and the women wandered round expiring underneath over-decorated tea-cosies and with inadequate footwear.
Dans ce siècle, comme dans tous les autres, les hommes portaient des tenues confortables et pratiques et les femmes se promenaient près de décéder sous leurs couvre-théières trop accessoirisés en guise de couvre-chef et avec aux pieds des souliers inappropriés à la situation.
Des historiens anglais armés d’une bouilloire et d’une machine à remonter le temps se promènent dans le passé pour étudier et chroniquer de grands événements. Bien sûr, il leur est interdit d’intervenir. Cette série est un bijou. C’est léger, enlevé et, cerise sur le gâteau, ça commence avec des dinosaures. De quoi vous donner le sourire et vous redonner envie d’aller lire des ouvrages historiques. Ou de regarder Jurassic Park (mon feel good movie avec Gone Girl).
12) The Salt Roads, Nalo Hopkinson
Do not ask your future, or you will forget to live in your present.
Ne demande pas ce que sera to futur, ou tu oublieras de vivre dans ton présent.
Malheureusement, ce n’est pas encore traduit. Nalo Hopkinson opère ici dans le royaume du réalisme magique. Son roman voit se croiser plusieurs histoires, dont celles d’esclaves et au centre, de Jeanne Duval, muse et maîtresse de Baudelaire. Il est question de légendes, de vaudoo, de poésie et des “voies du sel” qui ne sont autres que celle de l’océan : celui des mémoires, des tribus dont viennent les personnages et qui les relient entre eux. Un bijou.
Je vous souhaite une belle éclipse. Le Sagittaire nous montre la voie. Il nous dit de faire le tri des illusions et des mensonges. Vos commentaires, si vous en avez, me font plaisir. N’hésitez pas à partager la newsletter si celle-ci vous a parlé.
Joyeuses fêtes, quelles que soient celles que vous fêtez et bon courage à celleux pour qui la fin d’année est difficile.
Bien sûr qu’il n’y a pas un livre pour un signe ! Tous ces livres sont multiples. Lisez ce qui vous parle. Le voilà le signe.
Je suis toujours suspicieuse de ces journaux où les mêmes livres des mêmes éditeurs sont critiqués. Cela ne veut pas dire que je ne lis pas les livres dont on parle, mais l’écart entre certaines critiques et le livre me fait parfois me dire “ah, voilà quelqu’un qui a juste balancé le pitch marketing envoyé par la maison d’édition”.
J’ai passé le début du roman à me demander “Mais c’est un roman historique ? Elle parle de Marie de France, celle des lais ? Non mais….” C’est une vie possible de Marie de France en réalité (dont on n’a jamais établi clairement l’identité).
Pour justement voir à quel point les critiques me semblaient déconnectées.
Oui, je fais référence à un roman en particulier, que j’ai prêté en me disant que je devais être particulièrement de mauvaise humeur à sa lecture. Mais en fait non, c’était sa lecture qui m’avait mise de mauvaise humeur. Rassurez-vous, j’ai terminé en diagonale pour vérifier que j’avais bien deviné le “twist” de fin.