Flop Gun : le roi, c'est moi !
#13 Où l'on parle d'adaptation, d'empreinte carbone et de la difficulté à lâcher prise...
Cela fait un peu plus d’un mois que je vous ai envoyé ma dernière newsletter. Et donc quasiment 6 semaines que j’ai fait une pause réseaux sociaux entrecoupée par un bref retour pour faire la pub du prochain numéro de Gaze Magazine. J’y ai notamment écrit un essai dans lequel j’évoque mon expérience dans l’intelligence artificielle. C’est une belle parution à laquelle je suis abonnée depuis ses débuts. Je vous invite vivement à la découvrir.
Après avoir réfléchi à ce dont je voulais vous parler, il m’a fallu me rendre à l’évidence. Je n’avais envie d’évoquer qu’un sujet avec vous.
Ce sujet, ce n’est pas « Top Gun: Maverick », mais si le film est l’objet de mon étude. Ce n’est pas non plus le talent de Tom Cruise pour courir.
Non, ce qui m’a questionnée dans cette suite de « Top Gun » 36 ans après les faits, c’est ce qu’elle révèle de notre passion pour les adaptations, réécritures, reprises et divers remakes, mais aussi d’une certaine masculinité 2.0 qui n’en est pas moins toxique.
<ATTENTION : DIVULGÂCHAGE QUI NE VOUS EMPÊCHERA PAS D’APPRECIER LE FILM1>
En lieu et place de nous refaire un Top Gun sauce 2022 où de jeunes héros prendraient la relève, - ce qui est le cas dans les nouvelles versions de Jurassic Park notamment- Tom Cruise, alias Pete Mitchell, alias Maverick reste le seul et unique héros du film. L’armada de jeunes pilotes qu’il est censé former n’est que cela, une armada anonyme de personnages secondaires dont les pseudonymes sont aussi vite oubliés qu’évoqués.
Maverick revient sur les lieux de ses exploits pour entraîner une série de jeunes et brillants pilotes dans le cadre d’une mission secrète dans une vallée non moins secrète dont il ne nous sera jamais révélée la location et par là, la nationalité des ennemis : russes ? chinois ? En 2022, l’ennemi n’est qu’un prétexte, toute tension géopolitique (et prise de risque) évacué du film pour être bien certain qu’il puisse être vendu dans tous les pays du monde. C’est aussi une autre manière de nous concentrer sur Maverick, héros éponyme et increvable du film.
Maverick est entouré de sa cour dans laquelle on compte… une femme (le quota 2022 ?). Le seul autre personnage féminin que l’on retrouve dans le film est Penny Benjamin, un personnage mentionné vaguement dans le premier « Top Gun », le love interest de Maverick, joué par Jennifer Connelly (et ses yeux fabuleux) qui a au moins le mérite de n’avoir que 8 ans de moins que Tom Cruise. Ce film passe-t-il le Bechdel test pour autant ? La réponse est : non.
Revenons au personnage de Tom Cruise. Malgré le fait que celui-ci ait 30 ans de plus que les jeunes pilotes et qu’il se soit pris suffisamment de G positifs et négatifs dans la figure pour réduire son cerveau en purée, Maverick, vous l’aurez compris, est un pilote exceptionnel, que dis-je, imbattable !
Il est d’ailleurs si imbattable qu’il se retrouve désigné chef de mission alors qu’il n’était plus en service actif. Un peu comme Joe Biden en quelque sorte, mais avec un peu plus de botox et de coloration capillaire. Non, ce n’est pas demain la veille que Maverick (ni Tom Cruise) passera la main malgré les messages répétés d’Iceman (un touchant Val Kilmer dont je vous recommande le documentaire). Ces messages peuvent se résumer à un simple « JUST LET IT GOOOOOO ». Texto. C’est ce qu’il lui écrit, un message sur lequel la caméra s’attarde à deux reprises.
La retraite ? Laisser sa place aux millenials (ne parlons même pas de la génération Z) ? Baisser son empreinte carbone ? Maverick s’en tamponne bien. Lui est immortel, mais clément puisqu’il daigne recruter dans son équipe la seule fille du groupe, un personage latino et… le fils de son ancien coéquipier (Goose) - joué par un sous-utilisé Miles Teller qui porte une moustache pour le moins… questionnable.
Non seulement Tom Cruise, pardon, Maverick, dirige la mission, mais… il va même jusqu’à se sacrifier pour sauver Miles Teller/Rooster2. On pourrait se dire : c’est donc bien un chant du cygne, un dernier adieu pour laisser la place aux autres. Le voilà le message du film.
Pardon ? Vous parlez bien de Tom Cruise ? L’homme qui a prévu les 17 prochains Mission Impossible ? Ce qui est mission impossible, c’est raccrocher les gants.
Maverick s’est sacrifié, mais il a réussi à s’éjecter in extremis et à tomber en zone ennemi, mais sans se faire mal (chouette !). Rooster décide d’aller le sauver à son tour. Le jeune chevalier va retrouver le roi pour le ramener à Cam… je m’égare. Rooster va partir à la rescousse de Maverick en écrasant son avion au passage. La productivité de cette mission est, pour le moment, abyssale.
Sans avion, comment vont-ils s’échapper ? Ils vont emprunter un F-14 qui traîne dans un hangar, le même avion que Maverick pilotait en 1986 et réussir à non seulement s’échapper, mais à abattre un avion ennemi dernière génération… Le message est compris, “C’est dans les vieux pots qu’on fait les meilleures soupes”. Sa version Top gunienne diffère légèrement : « C’est le pilote qui compte et pas l’avion. » Le message est répété à plusieurs reprises tout au long du film pour bien nous faire comprendre la chose suivante : Tom Cruise rend n’importe quel film d’action un succès car c’est lui qui compte, son charisme, son talent3. Maverick n’est que le miroir de l’acteur qui nous rappelle « Je suis le meilleur et je ne suis pas prêt d’arrêter de courir sur vos écrans à moins que Ron Hubbard et les extraterrestres ne viennent me chercher. »
Indépendamment du bilan carbone désastreux de Top Gun : Maverick (et du nombre d’avions détruits pour aller sauver un pilote qui ne sait pas suivre les ordres et qui devrait être à la retraite depuis dix ans), le film est le formidable véhicule d’une masculinité soit disant 2.0 qui a pour but de rappeler qu’avant c’était mieux (ah ?) et que le roi est de retour. (Oh ?) Backlash ? Ne cherchez pas plus loin.
En effet, Top Gun: Maverick est une réécriture transparente de la fin de la légende arthurienne, c’est à dire “Le retour du roi”. Arthur/ Maverick, à sa mort, part dans les brumes d’Avalon d’où il retournera lorsque le royaume aura besoin de lui. Les chevaliers/ pilotes n’attendent qu’un véritable leader (et grand maître scientologue) pour accomplir leur mission et non pas les amiraux qui veulent les remplacer par des drones. Enfin, tout comme Arthur, Maverick est un roi sans héritier direct. Sa filiation ne peut être qu’indirect par le biais d’un nouveau chevalier, Miles Teller. Rooster/ Miles Teller et un Galahad qui, en sauvant Arthur/ Tom Cruise peut espérer un jour être considéré comme le meilleur chevalier mais certainement pas comme le roi. Se reproduire ou reconnaître un héritier, c’est prendre le risque de perdre son essence et son pouvoir masculin et, à terme, d’être détrôné.
Vous pensiez que les structures en place étaient en train de bouger ? A Hollywood et ailleurs ? Top Gun: Maverick nous rappelle que le pouvoir est encore et toujours aux mains de ceux qui le détenaient il y a 30 ans. Sous couvert de montrer la suprématie de l’homme sur la machine, il nous renvoie à un temps d’avant où la bravoure, un attribut principalement masculin dans le film, et la force permettent de prendre le dessus. On peut simplement espérer que ce message est le dernier cri de ralliement d’une espèce en voie de disparition…
C’est aussi une transition toute trouvée pour vous proposer de réécrire votre propre légende arthurienne en sortant de la masculinité toxique et des clichés de retour du roi. Si vous le souhaitez, nous pouvons le faire ensemble les 18 et 19 juin chez Les Mots lors d’un atelier de deux jours où je vous aiderai à écrire votre nouvelle arthurienne moderne avec un mini cours d’histoire littéraire et politique pour rafraîchir vos connaissances sur le Graal ou tout simplement le découvrir.
Enfin, je partage avec vous “Easy”, le premier single de l’EP de Sumana, une artiste et une amie qui vous embarquera dans un monde aérien sans empreinte carbone, mais empreint de toute la délicatesse et la légèreté de cette artiste franco-indienne.
L’intrigue n’est pas l’essentiel d’un film prétexte à des cascades répétées (et impressionnantes).
Le coéquipier de Maverick se prénommait Goose (ou L’oie), vous comprenez le jeu de mot. Rooster signifiant : le coq. On reste dans le gallinacé qui ne vole pas haut.
Jerry Bruckheimer, l’un des producteurs du film, s’est d’ailleurs épanché sur les talents de leading man de Tom Cruise, remarquant qu’il n’y avait pas forcément d’équivalent féminin. On se demande bien pourquoi…