Bonne rentrée à toustes ! Je vous espère reposé·e·s si vous avez pris des vacances.
Vous savez qui n’en a pas pris ? La campagne électorale américaine dont voici les précédents épisodes au prisme des memes et du cinéma :
La campagne Harris se félicite d’avoir récolté près de 1/2 milliard de dollars (plus au moment où cette lettre partira). Mais la course est loin d’être gagnée. Après une convention des démocrates plutôt réussie (avec un Tim Walz qui utilise ses talents d’ancien coach et professeur) - le but est de motiver les foules, check- mais qui ne règle pas tous les problèmes des démocrates - faire voter les minorités, notamment latino·a·x qui sont indécises ou républicains mous, pas trop check - Kamala Harris doit aussi faire face aux insultes répétées de Trump qui l’a adoubée “nasty woman”. Elle rejoint ici un club bien fermé, composé principalement de femmes cis démocrates.
Ce “nasty” deviendrait presque un badge d’honneur, s’il ne prenait pas une dimension évidemment raciste quand il s’adresse à Kamala Harris, puisqu’il y a dans “nasty” une dimension de saleté propre aux insultes raciales prisées par Trump. Paradoxe, puisque le même Trump déclare que Harris n’est pas suffisamment noire pour revendiquer cette identité.
Mais ce qui terrifie Trump, c’est la popularité grandissante de Harris et sa capacité à, elle aussi, être une célébrité, un personnage pour lequel les foules se passionnent au même titre que lui.
Du personnage au biopic
Trump devrait pourtant être heureux, il a enfin droit à son biopic. Le film The apprentice retrace sa relation dans les années 70 et 80 avec Roy Cohn, un avocat américain connu pour son intelligence et sa corruption (ce qui lui fait un point commun avec Trump).
Roy Cohn, qui a 20 ans de plus que Trump, a accédé à la célébrité lors des enquêtes de McCarthy qui chassait l’ennemi communiste. Il a notamment fait partie de l’équipe d’avocats qui a piégé les époux Rosenberg ce qui a conduit à leur peine de mort (ceux-ci étaient certes coupables, mais… c’est encore une autre histoire). Il est aussi connu aussi pour avoir été notoirement dans le placard (transparent), jusqu’à réfuter qu’il était malade du sida, maladie qui le tuera en 1986.
Présenté à Cannes en mai dernier, le film raconte l’histoire d’un Cohn éminence grise qui aurait façonné Trump, notamment en devenant son avocat et conseiller quand celui-ci a été attaqué par la ville de New York pour ne pas avoir construit suffisamment de logements sociaux, corrompu des représentants de la ville et autres litanies de délits et crimes du quotidien pour le magnat de l’immobilier. Le biopic a un petit goût de Faust, mais ici celui qui pactise avec le diable est déjà diabolique. Est-ce que Cohn a éduqué Trump ou l’a-t-il simplement révélé ? Ce qui est certain, c’est que l’élève a dépassé le maître.
Pourquoi appeler le film “The apprentice” ?
C’est une référence double. La première, c’est bien sûr que Trump a été le disciple de Cohn et de son ethos “la fin justifie les moyens”. La deuxième est lié à l’émission “The apprentice” (NBC).
Cette télé-réalité à été créée par Mark Burnett et co-produite par Burnett et Trump. Entre 2004 et 2015, l’émission a permis à Trump de revenir sur le devant de la scène (de télé, sur NBC qui abritait des succès comme Friends) et de paver la voie pour son élection. Comment ? Notamment en le dépeignant comme un businessman à émuler alors que :
Trump était surtout l’héritier d’une fortune immobilière : alerte au népotisme !
Brillant homme d’affaires ? Il est surtout connu pour ses faillites à répétition et sa main leste (pour les pots-de-vin, entre autres).
Célébrité et politique
Pendant 11 ans, Mark Burnett a contribué à construire l’image d’un homme à succès, riche, un habitué du risque, en bref une personnification du rêve américain car, rappelons-le, aux Etats-Unis l’argent est non seulement le signe du succès, mais aussi le gage de la moralité de celui qui le possède.
En résumé, si vous êtes riche, c’est que vous l’avez mérité. Plus vous êtes “bon·ne” au sens moral, plus vous aurez d’argent.
Burnett a donc mis en scène un Trump richissime, que ce soit dans la Trump Tower, son Versailles, ou dans des lieux identifiés comme des espaces de sociabilisation pour magnats : golf, country club et j’en passe. Quelle que soit la véritable fortune de Trump (et comment elle a été acquise), ce qui est resté dans l’oeil des spectateurices, c’est la représentation de cette fortune.
Que nous dit la sortie de ce film ?
The apprentice est un véhicule à Oscar pour Jeremy Strong qui est un acteur “sérieux” (= intense). Il a notamment déclaré à propos de son personnage, Kendall Roy, dans la série Succession “ je le prends autant au sérieux que ma propre vie”1. C’est aussi le cas de Sebastian Stan, qui après des débuts dans Gossip girl et la mini série voyeuriste Pam et Tommy, veut lui aussi montrer, à coup de toupet et lippe tombante, qu’il est un acteur lui aussi “sérieux”. Les Oscars sont friands de performance : prise de poids, perte de poids, enlaidisation (surtout si vous êtes une actrice au physique de mannequin2 . Le toupet blond de Stan suffira-t-il ?
Le film ne trouvait pas de distributeur jusqu’à récemment, pour plusieurs raisons :
La première était la promesse de Trump de poursuivre en justice le film pour diffamation - à prendre avec des pincettes du fait de sa propension à brandir la menace sans l’exécuter.
La deuxième : qui irait regarder ce biopic ? Les fans de Trump ? Quant aux Démocrates, on peut imaginer qu’ils n’ont pas envie de se farcir 2h de Trump, même bébé Trump.
En fin de compte, le film a trouvé preneur et va sortir le 11 octobre aux Etats-Unis, juste avant les élections du 5 novembre. En parallèle de la dernière ligne droite de la campagne électorale, c’est une course à la statuette qui va donc commencer pour les deux acteurs, ce qui promet de longs articles sur… Trump.
Si aucune des parties impliquées dans la réalisation du film ne paraît vraiment pro-Trump, on peut se poser la question de la pierre qu’apporte ce biopic à l’édifice de son personnage. Quant au fait que les fans de Trump n’iraient pas voir le biopic sous prétexte que celui-ci dépeint Trump comme un arriviste qui est prêt à tout pour devenir (encore plus) riche … n’est-ce pas en partie pour cela qu’ils soutiennent Trump ?
Le candidat républicain défend une Amérique du plus fort et du quand on veut on peut (privilèges inclus). Cette fiction, peut-être malgré elle, peut tout aussi bien consolider sa célébrité et participer à sa possible ré-élection. On parle du capital de l’attention, or ce film contribue à nous exposer encore et toujours à Trump et à nourrir sa visibilité et donc sa célébrité. On pourrait même avancer que ce projet participe au culte de la personnalité du candidat.
Est-ce que vous iriez voir le film ?
Je vous retrouve bientôt pour parler du débat Harris/Trump qui devrait avoir lieu le 10 septembre sur ABC si les deux équipes s’accordent sur leur histoire de micros ouverts.
Big theater kid energy! Huge!
On pense à Charlize Theron dans “Monster”, Nicole Kidman et sa prothèse de nez dans “The hours” ou à Amy Adams dans “Nightbitch” qui sort bientôt.