Book club ? Et non ! #5
Où je continue à vous dire toute ma vérité sur ces livres choisis et lus avec respect, amour et... une certaine désillusion
Trois semaines de vraie pause -de réseaux sociaux à l’exception de substack- se sont traduit par un record personnel de lectures. Et cette fois-ci la quantité et le plaisir ont été au rendez-vous.
Je vous rappelle les règles de ce non book club :
Je ne liste que les livres que je lis sans visée « utilitariste ». Je n’y mentionne pas les livres que je lis pour mon travail, à moins d’avoir eu une révélation (apocalypse?) en les lisant. La frontière est donc perméable.
Je ne parle pas de livres offerts par des professionnels, maison d’éditions… S’ils sont offerts par des ami·es, je le précise.
J’exclus les livres commencés, mais pas finis.
Je ne résume pas les livres. Pour les fiches de lectures, vous avez Babelio & co.
Je surligne en gras mes ouvrages préférés.
Si vous l’aviez raté et cherchez des recommandations, voici l’édition de juillet
Ma récolte aoutienne
Une fois n’est pas coutume, je vais vous parler en premier d’un essai que j’ai lu au milieu du mois et qui m’a fait reconsidérer toutes mes lectures. J’ai donc décidé d’ajouter au titre et au nom de l’auteurice, la maison d’édition lorsque le livre est publié en France. Vous allez tout de suite comprendre pourquoi.
La trahison des éditeurs, Thierry Discepolo (éditions Agone, indépendant).
Je pensais lire un livre sur la chaîne du livre et l’exploitation des auteurices à l’instar des vaches dans l’industrie laitière (en moins violent physiquement, mais pas forcément économiquement). Cet essai, écrit par un éditeur indépendant, est une analyse féroce du système de l’édition et de ces groupes qui veulent se faire passer pour indépendants quand ça les arrange…
J’y ai entendu des échos du défunt critique Matthieu Galey (lu le mois dernier) qui parlait dans ses mémoires du grand marché des prix littéraires. Cette lecture a aussi résonné avec Littérature & révolution dont je vous parle plus tard, notamment car elle pointe du doigt ces éditeurs (Madrigall, Actes Sud…) qui ont des comportements pas si éloignés d’un Editis (anciennement propriété de Bolloré jusqu’à 2023) ou d’un Hachette tout en se prévalant d’une forme d’engagement puisqu’ils ont des labels militants (La Découverte, par exemple qui publie les Pinçon-Charlot et Mona Chollet, ou chez JC Lattès, propriété d’Hachette, dont le label essai a notamment publié la neuroscientifique Samah Karaki).
Le livre questionne aussi la présence d’auteurices engagées à gauche et/ou anticapitalistes dans des groupes à la politique économique de droite, notamment les universitaires pour qui la publication ne représente pas une source de revenus principale. Où s’arrête le militantisme ? Où commence la pureté militante ? Cette lecture m’a beaucoup fait réfléchir sur le sujet. Les auteurices sont rarement en position de force lorsqu’il s’agit de choisir une maison d’édition. Je l’ai moi-même expérimenté. Néanmoins m’est tout de même revenue en tête Audre Lorde1 que l’on aime tant citer, mais dont on n’applique pas toujours les préceptes, moi la première. MEA CULPA, MEA MAXIMA CULPA.
Mais revenons au début du mois. Conseillée par
, j’ai lu Sauvagines, de Gabrielle Filteau-Chiba (en France, éditions Folio chez Madrigall). Révélation que ce second tome d’une trilogie sur notre rapport à la nature au-delà du fantasme du retour aux sources. L’autrice utilise ses droits d’autrice pour acquérir (et protéger) des terres au Kamouraska. Je l’admire autant que je suis sûre de ne jamais m’enfermer dans une cabine au fond des bois québécois en plein hiver.J’ai eu la chance de lire, un peu avant sa sortie, Saison toxique pour les foetus de Vera Bogdanova, autrice contemporaine (groupe Actes Sud). Grandir en Russie dans les années 2000. Une histoire de famille qui raconte un pays. Je surveillerai les prochaines parutions de cette autrice, c’est certain.
Notre vie chez les riches, Monique Pinçon-Charlot et Michel Pinçon (editions Zones/ La Découverte qui appartient à Editis (anciennement appartenant à Bolloré, maintenant à un milliardaire tchèque conservateur sous couvert d’humanisme). J’ai dévoré ces mémoires très accessibles qui donnent envie de (re)découvrir les oeuvres des deux sociologues. Je suis toujours autant impressionnée par la manière dont ils ont pu travailler ensemble. J’ai ressenti une grande sympathie lorsqu’ils mentionnent leur peu d’appétence pour les réunions et la propension de Michel Pinçon (Paix à son âme) à s’endormir en colloque. Au-delà de l’anecdote amusante, les promenades sociologiques dans Paris m’ont séduite. Mais leur publication chez Editis questionne un peu cet engagement. Typiquement, ces universitaires auraient pu choisir un éditeur plus aligné avec leurs valeurs.
Trilogie de romance, Potent pleasures, Enchanting pleasures, Weird pleasures (trouverez-vous l’intrus ?) par Eloisa James. Rien à dire.
Falling Man, Don de Lillo. Classique sur le 11 septembre. Vision littéraire hallucinée. J’ai été happée par ce récit dans les cendres des tours entre mirages, jeux de miroir et questionnement sur la place de l’art après le drame. Emprunté à la bibliothèque, je l’ai mis sur ma liste de livres à acquérir car je vais le relire (et l’offrir). J’ai vu dans The Falling Man le Patrick Bateman d’American pyscho, certes écrit dans les années 80, mais dont l’adaptation cinématographique a vu le jour en 2000, comme un signe de l’instabilité à venir.
Littérature et révolution, Joseph Andras et Kaoutar Harchi (éditions Divergentes, éditeur indépendant). On a beaucoup parlé de cette discussion qui reprend le titre d’un essai de l’anarchiste devenu marxiste Victor Serge, paru en 1932 aux éditions Maspero quand elles étaient encore indépendantes. Passionnant à lire sans pour autant toujours me convaincre, mais là n’est pas le but d’un essai. Les deux écrivains semblent conclure que la fiction ne peut être le lieu de la révolution.
Ils sont tous les deux publiés chez Actes Sud pour leurs autres oeuvres, sauf le dernier ouvrage de Joseph Andras, Nûdem Durak. Sur la terre du Kurdistan, paru aux éditions collectives Ici-bas.
How not to drown in a glass of water, Angie Cruz. Un autre dialogue, cette fois-ci entre Cara Romero, immigrée dominicaine à New York City, et son assistante sociale. Malin, plein d’humour, jamais confortable, avec un récit sous forme de réponse aux questionnaires type France travail auxquels Cara Romero doit répondre.
Trilogie A power unbound, A restless truth et A marvellous light par Freya Marske. Je cherchais du fantastique queer et je ne l’ai pas trouvé ici. Trop de romance et de longues scènes explicites, pas assez de fantastique. Suis-je en train de me transformer en puritaine ? HELP ME!
The Seventh Veil of Salome, Silvia Moreno Garcia. J’ai aimé tout ce que j’ai lu de cette autrice mexicaine qui écrit en anglais. Du roman noir au fantastique, elle m’a toujours emportée. Ce n’est pas le cas ici. La rencontre de l’âge d’or (ou d’argent) d’Hollywood avec son racisme envers les acteurices latino·a·s et d’une histoire biblique pourra plaire à beaucoup.
Encabanée, Gabrielle Filteau-Chiba (en poche, Folio, chez Madrigall). Le premier tome de la trilogie de Filteau-Chiba.
m’avait prévenue qu’elle n’avait pas été convaincue. De fait, le ton est très différent de Sauvagines. Ici, on lit une forme de journal intime, entre listes et dessins qui s’approche plus d’une auto-fiction que du roman qu’est Sauvagines. Le livre m’a semblé être un prologue de Sauvagines. J’attends maintenant la lecture de Bivouac (le dernier tome) avec une impatience teintée de crainte. Lire est une activité haute en émotions.Death at the sign of the rook, Kate Atkinson. Kate Atkinson fait partie de ces autrices dont j’attends les sorties avec impatience. Et la seule autrice qui me fait lire du “policier”, peut-être parce que ce n’en est pas vraiment. Ici, nous suivons Jackson Brodie, un ex-policier devenu détective, pour sa cinquième ou sixième enquête. Jackson a la soixantaine maintenant (quelle joie que de suivre un personnage qui vieillit et change) et Atkinson est bien la seule autrice qui va me faire lire les tribulations d’un mec cis blanc, peut-être car Jackson est très conscient de ses biais, et est un vrai-faux héros. Ici, l’autrice joue sur notre passion pour Agatha Christie et les cozy mistery. Réconfortant.
Dominicana, Angie Cruz. Après How not to drown in a glass of water, j’ai voulu lire le premier roman d’Angie Cruz qui évoque aussi le thème de l’immigration dominicaine, mais cette fois dans les années 60, dans les mois qui précèdent et suivre l’assassinat de Malcolm X. Un roman qui me convainc que la révolution peut aussi naître dans la fiction, car la représentation est déjà une forme de subversion.
Fragile Threads of Power, V.E. Schwab. Solide premier tome d’une nouvelle trilogie fantastique qui se déroule dans l’univers explorée par l’autrice dans une première trilogie. Beau défi que de tisser de nouveaux personnages dans un univers connu sans perdre les précédents. Je crois que le fantastique, en tant que lecture détente, va complètement prendre le pas sur la romance qui, dans son genre, est aussi une forme de fantastique.
Et surprise, ma libraire recevant Juliette Rousseau pour son nouveau roman Péquenaude, elle m’a conseillé son premier texte de fiction, La vie têtue, qui entrelace récit et poésie dans un tombeau dressée à sa soeur, mais aussi à sa grand-mère et sa mère. Un très beau livre que j’ai dévoré et que je relirai. A noter que Juliette Rousseau est éditrice aux éditions du commun (indépendantes), mais que son roman est publié aux éditions Cambourakis qui ont été absorbées par Actes Sud (ils sont “éditeurs associés”) il y a quelques années. La question de chez qui publier doit être encore plus saillante quand on évolue dans l’univers de l’édition.
Cette succession d’excellentes expériences de lecture, qui se sont répondues (La trahison des éditeurs & Littérature et Révolution, La trilogie magi-molle et le très bon début Fragile Threads of power, ou encore les romans de Silvia Moreno-Garcia et Angie Cruz car ils dépeignent chacun un angle de l’expérience latina aux Etats-Unis) m’a fait un grand bien.
Si la fiction n’amène peut-être pas la révolution aussi évidemment qu’un essai, je suis persuadée qu’elle nous change, molécule par molécule et ce mois de lecture m’a changée, même si, vous l’aurez compris, c’est l’essai de Thierry Discepolo qui en a été le point culminant.
Avez-vous des recommandations pour la rentrée ?
“On ne détruit pas la maison du maître avec les outils du maître.” Audre Lorde, Sister Outsider: Essays and Speeches, Berkeley, Crossing Press, (1984) 2007, p.111.
Choisir sa maison d’édition… quelle gageure ! Trouver l’équilibre entre la maison qui pourra financer certains projets éditoriaux, celles qui ne publient pas de sombres crasses et qui restent indépendantes des groupes aux valeurs atroces… forcément, on restreint carrément la liste des candidates et se pose aussi la question de comment on pourra être rémunérée…
Trop intéressantes les interconnexions que tu précises ! Une carte de type à qui appartiennent les médias pour les maisons d’édition, ça nous permettrait d’y voir clair !
Une newsletter qui donne envie de commencer l'automne sous sa couette avec une pile de livres !! Merci !
Drôle comme elle résonne d'ailleurs avec un épisode de Transfert que je viens d'écouter, dans lequel intervient je pense Gabrielle Filteau-Chiba ("Gabrielle ou la vie dans les bois"). J'ai adoré écouter son témoignage. Pour rester dans les autrices québécoises et les histoires de cabane, as-tu lu La version qui n'intéresse personne, d'Emmanuelle Pierrot ?
La réflexion sur les maisons d'édition est intéressante -- je travaille pour Actes Sud comme traductrice mais je n'ai pas l'impression d'avoir beaucoup le choix, je dois dire, ça ne se bouscule pas au portillon. Bon, mon cas est un peu différent de celui des auteurices car je ne cherche pas à publier une oeuvre originale : on fait appel à mes services pour une compétence bien précise (je ne suis d'ailleurs pas toujours fan de ce que je traduis, et je me suis promis de ne pas traduire du contenu qui me paraîtrait problématique).
D'ailleurs, en parlant de traduction, métier mal rémunéré, invisibilisé et (ô surprise) majoritairement féminin, ce serait chouette de donner, en plus du nom des maisons d'édition, celui de la traductrice ou du traducteur, le cas échéant :) (je prêche pour ma paroisse !) Ainsi, Saison toxique pour les foetus de Vera Bogdanova a été traduit par Laurence Foulon.