Toujours pas un book club #4
Où je continue à vous dire toute la vérité sur ces livres choisis et lus avec respect et amour
J’ai terminé le mois de juillet en supprimant mon application instagram - le réseau social que j’utilise le plus-. Après avoir consacré tout un chapitre de mon essai, Patriartech, aux outils de domination que peuvent devenir les réseaux sociaux, sans parler des risques pour notre santé mentale, et ne trouvant pas d’alternative satisfaisante pour le moment, je me suis dit qu’une pause serait l’occasion d’un voyage intérieur. Août sera donc un double mois de vacances au double sens du terme : faire du vide pour mieux choisir ce dont l’on veut se nourrir.
Tout ça pour dire que je vais avoir beaucoup plus de temps pour lire.
Je vous rappelle les règles de ce non book club :
Je ne liste que les livres que je lis sans visée « utilitariste ». Je n’y mentionne pas les livres que je lis pour mon travail, à moins d’avoir eu une révélation (apocalypse?) en les lisant. La frontière est donc perméable.
Je ne parle pas de livres offerts par des professionnels, maison d’éditions… S’ils sont offerts par des ami·es, je le précise.
J’exclus les livres commencés, mais pas finis.
Je ne résume pas les livres. Pour les fiches de lectures, vous avez Babelio & co.
Je surligne en gras mes ouvrages préférés.
Si vous l’aviez raté, voici le précédent numéro.
Juillet, ce fut trois bande-dessinées, un journal intime, un recueil de nouvel, deux essais, un roman de sf, un roman de young adult fantastique et une fiction littéraire.
Emil Ferris a enfin sorti le deuxième tome de My favorite thing is monsters. La version française devrait sortir cet automne.
Que dire si ce n’est admirer ce travail sur l’horreur, l’enfance, le secret et l’art du storytelling. Ce n’est pas une BD confortable, littéralement, elle est trop lourde pour la lire couchée et très dangereuse si vous avez une tendance à la narcolepsie. En fin de compte, pour être appréciée à sa juste valeur, elle requiert de se tenir droit·e, assis·e à une table ou de faire de la musculation. Ce deuxième tome m’a donné envie de refaire un tour à Chicago, un coup de foudre citadin de mes années américaines.
Phoolan Devi, reine des bandits, Claire Fauvel
Je me suis jetée sur ce livre comme une féministe libérale sur la campagne de Kamala Harris. Pourquoi ? Si vous êtes un millenial, vous avez peut-être dévoré Devi, d’Irene Frain paru au début des années 90. Phoolan Devi, c’est une jeune indienne à peine sortie de l’adolescence qui se rebelle contre son sort, l’oppression des riches (et des hommes), et devient une sorte de Robin des bois de sa région. Fascinée à l’époque, je ne me rendais pas compte qu’Irène Frain faisait d’une personne réelle, encore emprisonnée à l’époque, une héroïne bon teint qui puisse plaire au lecteur “occidental”, ce qu’Arundathi Roy a aussi dénoncé dans sa critique du film Bandit Queen (Kapur, 1994) qui, lui aussi, fit son beurre sur le dos de cette héroïne bien pratique puisqu’encore emprisonnée à l’époque. Je vous recommande son article sur le sujet.
Quant à la bande-dessinée ? Phoolan Devi est morte assassinée en 2001. Entre temps, elle a pu faire écrire son autobiographie (elle était analphabète), et c’est de celle-ci dont s’inspire la bande-dessinée. Une figure historique à redécouvrir, c’est certain.
Grandeur et décadence de Liv Stromquist.
Y a-t-il des fans de Liv Stromquist dans la salle ? L’autrice a un talent pour la circulation (™ Nathalie Séjean) et la grâce de nous donner toutes les références de ses réflexions. Bénie soit-elle par la confrérie des essayistes et des circulationnistes ! Ici, on parle beaucoup de capitalisme. Spoiler : c’est mal. Spoiler : nous y participons toustes, mais cela ne devrait pas nous empêcher d’y réfléchir.
J’ai ensuite fait une orgie de Matthieu Galey puisque j’ai lu toute son oeuvre publiée. Certes, elle ne s’élève qu’à deux volumes :
Journal intégral 1953-1986
Les Vitamines du Vinaigres (1958)
J’ai découvert Matthieu Galey lors d’une recherche qui m’a amenée à l’avenue Frochot, une avenue privée de Paris, à côté de Pigalle où se dressent des hôtels particuliers et des ateliers d’artistes. Matthieu Galey y a rendu son dernier souffle en 1986, dans une maison dite hantée qui aurait vu plusieurs morts suspectes. Il se qualifie de “demi-juif homosexuel”, des caractéristiques dont il disait “que plus d’un écrivain rêverait de les avoir”, référence à Marcel Proust. Il n’a publié qu’un seul recueil de nouvelles, bien accueilli, mais n’a jamais poursuivi dans la voie littéraire, absorbé par les mondanités qui allaient avec son travail de critique de théâtre notamment. C’est son journal qui est une oeuvre littéraire à part entière. Acéré avec des fulgurances qui vous laissent pantois·e, il fut publié une première fois après sa mort, mais avec des coupes assez substantielles pour ne pas froisser les sensibilités des éditeurices et des écrivains et écrivaines qu’il pourfendait gentiment, ainsi que le jeu des prix littéraires qu’il décortiquait avec un gai prosaïsme. Le personnage n’est pas attachant, c’est un bourgeois qui peut se permettre d’être apolitique (c’est à dire de droite) du fait de ses privilèges, mais il ne cherche pas à le devenir. C’est un coup de foudre littéraire, ce journal m’a stupéfiée.
Atteint de la maladie de Charcot, qui fait lentement perdre l’usage de ses membres au malade, Matthieu Galey a écrit de la main gauche quand il n’a plus eu l’usage de la droite. Son humour, jusqu’à la fin, est un exercice d’élégance.
Faute de remède ils achètent une télé pour m’oublier - Le progrès !
Journal intégral 19 février 1986
Quant aux Vitamines du Vinaigre ? Ce recueil de nouvelles un peu biscornues navigue entre les scènes de vie de province de Balzac, le fantastique d’Ursule Mirouet. Un livre du XIXe écrit en 1958 pour un vieux jeune homme qui était né au mauvais siècle.
Pharmakon, Olivier Bruneau
Rising out of hatred, Eli Saslow
Je passerai rapidement sur ces deux lectures à côté desquelles je suis passée tel un navire dans la nuit (mais pas le Titanic). Pharmakon suit un sniper sous l’effet d’une drogue qui l’empêche de dormir. Des hommes (et une femme) devenues drones sur fond de Moyen Orient à la CNN. Le remède devient le poison. Tout pour me plaire, mais une lecture est aussi affaire de moment.
Quant à Eli Saslow, ce journaliste chronique l’histoire vraie de Derek Black, ex- enfant chéri du mouvement des suprémacistes blancs aux Etats-Unis qui a revu son idéologie après son passage à l’université où il a fait l’expérience de la vie avec ces minorités qu’ils méprisaient tant. Le livre est intéressant, surtout maintenant, en ce qu’il montrer que l’inclusion, la pédagogie, la capacité à vivre ensemble peuvent en effet amener une personne à reconsidérer ses opinions. A lire pour une plongée dans la psyché suprémaciste blanche, pas si loin de celle du nouveau parti républicain tel que Trump l’a reconstruit.
Extremely Online, Taylor Lorenz
Avec Emil Ferris, Taylor Lorenz m’a ravie en ce mois de juillet. Si vous êtes en train de me lire, c’est que, comme moi, vous êtes un·e utilisateur·ice d’internet et des réseaux sociaux. Taylor Lorenz en prenant l’angle de vue des utilisateurices, montre comment celleux-ci ont influencé chacun des outils qu’il·elle·s utilisaient, forçant leurs créateurs (essentiellement masculins) à en modifier les paramètres pour répondre à des modes d’utilisations qu’ils n’avaient jamais imaginé. Un exemple : les hashtags ont été créés par les utilisateurices de twitter (paix à son âme), tout comme les retweets qu’il·elle·s faisaient manuellement, capture d’écran à l’appui. Les créateurs de twitter trouvaient les hastags “trop techniques” pour leurs utilisateurices.
Cette lecture m’a rappelé le pouvoir que nous avons en tant qu’utilisateurices, le pouvoir de détourner les outils pour qu’ils nous servent (mais je ne vais pas réinstaller instagram immédiatement).
My Lady Jane, Cynthia Hand, Brodi Ashton, Jodi Meadows
Nona The Ninth, Tamsyn Muir
Enfin, les vacances se sont profilées à l’horizon, et j’ai retrouvé mes genres préférées : le fantastique et la science-fiction, mais avec quelques surprises.
My Lady Jane a été adaptée en série par Prime video, série sortie le 27 juin. Les critiques (ou l’effort marketing) en parlent comme d’une variation sur Bridgerton, mais dans l’Angleterre des Tudor et avec des humains qui ont le pouvoir de se transformer en animaux… Le pitch de l’enfer.
Au mot “Tudor", tel un chien de Pavlov, je me suis ruée dessus pour arrêter ce visionnage au bout de deux épisodes. J’avais oublié (c’est la faute des Tudors !) la référence aux Bridgerton dont le soft porn est à peu près aussi excitant qu’un étal de boucher·e. La vie réduite à sa mécanique. Le livre est un exemple des distances que peut prendre une adaptation. Parfois pour le meilleur (World War Z), parfois pour le pire (World War Z aussi). Il se passe ainsi de la partie soft porn (soupir de soulagement), et nous propose le jeu de quel animal irait le mieux à quel membre de la famille Tudor. Henri VIII est un lion (ok), et Ann Boleyn…
Enfin, je m’étais gardée le dernier tome (paru, on attend le quatrième qui sera le dernier) de la tétralogie de Tamsyn Muir dont j’avais dévoré les deux premiers tomes. Des nécromanciennes lesbiennes ? Oui, s’il vous plaît ! 500 pages chacun, écriture serrée dans tous les sens du terme, truffés de références à des memes que l’on peut totalement zapper sans que cela entrave le plaisir de la lecture. Chaque tome réécrit la mystique du monde créé dans le précédent. Si j’ai dévoré Nona il m’a tout de même laisser sur ma faim. Probablement car ce tome était censé être l’introduction du dernier tome, en réalité. J’attends la suite avec impatience en priant Ursula K. Le Guin que Tamsyn Muir ne nous fasse pas une G.R.R. Martin (soit repousser pour toujours le dernier tome d’une série).
Je vous retrouve fin août pour vous parler des élections américaines - avec la convention des démocrates, il va y avoir du lourd en termes de memes, petites piques perfides… En fait, je n’ai pas besoin du dernier tome de Game of Thrones, il s’écrit sous mes yeux !
D’ici là, j’espère que vous allez lire des livres qui vont vous ravir, capturer vos coeurs et que vous en parlerez autour de vous.
Moi, je commence août fort (très très fort) avec Sauvagines de Gabrielle Filteau-Chiba que Lucie de Murmuration, m’a conseillé.
Ah c’est fou, j’ai l’impression que c’est le mois de trop pour Instagram. J’ai aussi suspendu mon compte (alors que c’est l’endroit où j’ai le plus d’abonné·es). Mais j’avais besoin de récupérer mon temps et ma santé mentale 🙈