J’essaie quelque chose de nouveau ce mois-ci sur Word Economy : un thème mensuel déployé dans une lettre hebdomadaire qui est censée être plus courte. Cette semaine, je vous parle de cinéma et de spectacle vivant. Avant cela, j’ai parlé du streaming et des journaux. A la fin du post, vous pouvez trouver une série de liens vers des articles pour aller plus loin sur le sujet de l’économie et du spectacle vivant.
Voici mon budget ciné/ spectacle cette année : 573,80 euros soit 1,30 euros par jour.
1) Le plaisir du cinéma
Le cinéma est pour moi l’art du divertissement par excellence. J’ai envie de tout voir (ou presque) à tel point que certaines âmes peu charitables peuvent considérer cette soif comme un manque de discernement - sans parler du “goût” qui fait le plus souvent référence au goût d’une certaine élite-. Je me rappelle encore cette (bientôt ex)copine me dire en réaction à mon enthousiasme pour Stargate : « Qu’est-ce que tu n’aimerais pas ! ». Au-delà du mépris et de la cruauté raffinée de son commentaire, il y avait un grain de vérité : c’est vrai, quand je m’assieds sur le fauteuil de la salle, je suis bien disposée, heureuse d’être devant le grand écran. Et que le film se concentre sur des robots camions extraterrestres, des obsédés de grosse cylindrées et de famille ou la question des régimes de vérité n’influence que peu le plaisir qui en découle. Qu’importe le film pourvu que j’ai l’ivresse.
Aficionado.a de la carte UGC quand j’étais encore à Paris, j’ai écumé les salles parisiennes en compagnie d’ami.e.s moins pédant.e.s. La communion du cinéma, je ne l’ai trouvée nulle par ailleurs. L’un de mes professeurs de fac nous avait dit, paraphrasant Godard : « Quand on va cinéma on lève la tête, quand on regarde la télé on la baisse. » ce qui s’applique aussi à notre usage du portable. Le cinéma requiert notre attention, il nous sort de notre présent tout en nous obligeant à y vivre, pas de distraction, seulement nous et une histoire. Du moins il s’y essaie car l’économie du cinéma a incroyablement changé depuis ses débuts. Dans son essai à ce propos, Laurent Creton écrit :
Confronté à l’intensification et au renouvellement de la concurrence, le cinéma, qui était devenu le principal vecteur de la culture de masse, a cédé la place à un système télé-audiovisuel dont il reste l’un des fournisseurs, lui-même sous tension en raison des développements d’internet et de l’espace accru occupé par les séries. Dans cette situation embrouillée, il est déterminé par deux orientations principales. L’une, dominante par le poids économique qu’elle représente, vise à développer et optimiser la coopération avec le pôle télé-audiovisuel et les nouvelles plateformes numériques de diffusion. L’autre tente de réinvestir en différenciation par le biais du spectaculaire, et aussi, secondairement, dans la spécificité artistique qui permettrait au cinéma d’éviter de se fondre au sein du mégasystème médiatique.
Tiraillé entre les plateformes - on se rappelle du scandale de l’arrivée de Netflix au festival de Cannes- , l’hégémonie des séries qui se bingent et l’obligation d’en mettre plein les yeux - Avatar et les innovations iMax sont là pour ça-, le cinéma se bat pour exister et continuer à enchanter. C’est cette quête de l’enchantement, du rapport à l’autre dans la salle obscure qui me fait continuer à aller au cinéma.
La fréquentation du cinéma a bien changé, concurrencée par la télévision, puis les plateformes de streaming, mais aussi les jeux vidéos qui racontent eux aussi des histoires. En 1946-47 on comptaient 400 millions d’entrée pour une population de 40 millions de français. En 2018, la fréquentation avait baissé de moitié alors que la population française avait, elle, augmenté de plus de moitié (soit 200 millions d’entrées pour 67 millions de français.es).
L’essai de Laurent Creton devient philosophique quand il nous décrit le cinéma comme une expérience quasi mystique, celle d’une création commune, mais où le cinéma serait le lieu d’une valeur plus élevée.
Par la rencontre du talent artistique et par un regard renouvelé, le spectateur accède à une profonde aspiration, dans ses figures multiples, à être réalisateur, acteur, sujet, à créer une signification. Cette recherche d’existence se distingue radicalement des consommations médiatiques destinées à combler le vide par des programmes qui font la part belle au dérisoire.
Pas sûre qu’il ait Fast & Furious en tête quand il écrit ces mots.
2) Doit-on préparer l’oraison funèbre du spectacle vivant?
Si c’est sur moi qu’il faut compter pour s’y rendre… oui. Autant décoller le sparadrap tout de suite, du spectacle dit vivant, je n’aime que la danse et la musique. Le théâtre au mieux m’intéresse intellectuellement, au pire m’ennuie profondément. C’est probablement un reliquat d’une forme de honte de classe. Le théâtre demeure ce long pensum qu’a été l’Avare de Molière vu en classe de 6ème. Ne parlons même pas de l’opéra. Néanmoins, je ne désespère pas d’apprendre à aimer le théâtre et j’y vais donc régulièrement pour découvrir et soutenir les productions théâtrales. A l’instar du cinéma, le théâtre est lui aussi menacé par les autres formes de consommation de contenu et ne semble survivre, en partie, que grâce aux subventions gouvernementales. Du moins c’est ce qu’on veut nous laisser entendre.
Mon abonnement à un centre national dramatique breton me permet de voir huit spectacles pour le prix d’une place catégorie 1 à l’Opéra de Paris, une salle de spectacle qui fait de plus en plus jouer le mécénat des très riches et augment ses prix en fonction. Cette disparité de prix est le fruit du rapport très spécial que nous avons à la culture en France -pour le meilleur comme pour le pire.
Dans leur ouvrage « L’économie du spectacle vivant » Isabelle Barbéris (très white fem dans ses prises de position, j’en parle plus) et Martial Poirson analysent l’évolution de cette économie entre « artisanat, luxe et industrie » et évoquent une « contamination de la culture par l’économie ». Le défunt parti socialiste, en la personne de Jack Lang (le faux-ami de la culture) a contribué à amorcer le retrait des pouvoirs publics pour être remplacée par une « économie créative » faite de mécénat notamment et qui apporte sa propre logique managériale au théâtre. Ceux qui paient ? Les travailleur.ses, autrement dit principalement les artistes et leur régime soumis à toujours plus de pression.
Martial Poirson, économiste du spectacle, amène l’idée du spectacle vivant comme un bien commun dont il s’agirait ici de redessiner les contours. Le spectacle vivant est un choix politique dans son financement. A l’heure actuelle on y voit mijoter beaucoup de ce qu’il appelle :
(les) questions qui traversent nos sociétés postmodernes mécénat, financements participatifs, crédits européens, stratégies de mutualisation ou encore entreprenariat théâtral constituent des palliatifs à la baisse des subventions publiques, tout en faisant émerger des modèles tantôt coopératifs et participatifs, tantôt compétitifs et concurrentiels, reconfigurant en profondeur la division du travail artistique et fractionnant le milieu des spectacles, sur fond de révolution numérique.
Tout cela revient au même problème : comment allouons-nous nos ressources ? Est-ce que la culture est un luxe ? Au vu des prix du spectacle vivant dans certaines grandes salles, probablement. Et je ne parle pas des concerts (j’y vais peu) et des scandales récurrents des billetteries à la ticketmaster.
Et vous, allez-vous encore au cinéma ? Au théâtre ? Avez-vous un secret pour ne pas vous y endormir ?
Des liens pour aller plus loin :
L’économie du cinema, Laurent Creton : disponible dans son intégralité sur Cairn.
L’économie du spectacle vivant, Isabelle Barbéris, Martial Poirson : de même. Au-delà des prises de position discutables d’Isabelle Barbéris au nom de “liberté de penser” qui a bon dos, le livre s’appuie sur des données statistiques très intéressantes.
Le scandale de ticketmaster, article gratuit du Guardian.
Je crois que la culture est définitivement un luxe. Je ne vais que rarement au cinéma, quand il y a un film que je souhaite vraiment voir. Ou alors de dans a autre dans mon cinéma de quartier là où la place est à 4 euros. Je vais plus volontiers assister à des petits concerts, et depuis un an, j'ai découvert avec bonheur des cabarets queer et racisés qui font du bien à ma bourse et me permettent de voir des choses que je n'avais jamais vu avant. Aller écouter de la poésie est une chose nouvelle pour moi, et je m'en réjouis beaucoup. Je suis cependant de la team du binge watching !
Bonjour Marion,
Je ne suis plus allée au ciné depuis plusieurs années. A part Avatar avec les neveux Pourtant j’étais intermittente, aux costumes. Avant j’allais en tout cas 1 fois par semaine au cinéma. Ma drogue.
Maintenant je ne regarde presque plus Netflix non plus. Le théâtre ne m’a jamais accroché. Les concerts un ou 2 par année. La danse (La Horde! ou Hofesh Shechter) m’on par contre emmené loin, quel bonheur. J’ai surtout un trop plein de film/séries formatées, même goût et des ficelles si grosses. La tv j’en ai pas.
Et souvent ce goût de réchauffé. Juste des recettes qui marchent.
Depuis 8 ans je bosse à l’opéra. Après le cinéma ça été compliqué. Mais 9 mois à bosser sur la tétralogie de Wagner, la nécessité de plonger dedans pour ne essayer de comprendre ces « bruits » m’ont ému comme jamais un spectacle vivant ne l’avait fait.
Depuis Wagner je l’associe au romantisme le plus charnel. Je l’écoute en lisant les sœurs Brontë.
Peut-être ma façon de consommer (séries, réseaux sociaux) m’ont anesthésié la curiosité critique.
En tout cas ça m’a fait réfléchir à ma consommation.
Merci beaucoup.