J’essaie quelque chose de nouveau ce mois-ci sur Word Economy : un thème mensuel déployé dans une lettre hebdomadaire. Cette semaine, je vous parle de l’économie des créateurices, c’est à dire l’écosystème qui permet aux créateurices d’être rémunéré.es pour le contenu qu’iels partagent en ligne.
Voici mon budget « creator economy ». Je suis abonnée à six auteurices sur Substack. A l’exception de Louise Morel et de son excellent Grain, je paie ces abonnements au mois. Je suis Amy Odell pour ses critiques de mode, Jessica De Fino pour sa critique acide de l’industrie de la beauté, Emma Gannon est un essai. Si son contenu se concentre sur la créativité, je ne suis pas sûre que son angle marketing me convienne sur le long terme. Je suis abonnée a la newsletter de Rosemary Mac Cabe car j’écoute son podcast “Not without my sister” chaque semaine et trouve ainsi un moyen indirect de la rémunérer. Quant à Louise Morel du grain, elle nous parle aussi de créativité, mais sans l’appareil marketing/ self help qui pourrait tirer du côté gourou TedX d’Emma Gannon, et surtout, c’est un NL conçu et écrite par une autrice dont je souhaite soutenir le travail. La dernière newsletter à laquelle je me suis abonnée est celle de Junot Díaz, un auteur que j’admire et qui y propose de suivre l’écriture de son roman en cours. J’en frémis d’avance.
Je suis aussi abonnée au patreon de Math Fachan de ZcommeZodiaque. Math a créé beaucoup de contenus gratuits depuis longtemps. C’est le contenu astrologique que j’aime lire car intelligent, très incarné et qui témoigne d’une passion sans préjugés pour le sujet. Enfin, je donne un « tip » mensuel aux journalistes du podcast Thune puisque j’écoute leur podcast religieusement, cette “Comédie humaine” audio de notre rapport à l’argent qui parle surtout de notre rapport à notre humanité.
Si les réseaux sociaux nous ont permis d’accéder à des monceaux de contenus en apparence gratuit (le prix étant tout simplement vos données personnelles), des services tels que Patreon et, plus tard, Substack pour les newsletters se sont montés pour nous donner l’opportunité de soutenir les créateurices sans que celleux-ci soient forcées à orienter leur création par gagner de la visibilité auprès d’un algorithme. Ou du moins est-ce la noble mission que ces plateformes se donnent et défendent. La vérité est, comme toujours, plus nuancée. Parlons donc de l’eldorado des newsletter : or ou toc?
Alors que l’on se plaint de l’afflux continu d’email, les newsletters ont su se frayer un chemin jusqu’à celles-ci. D’où vient ce succès ?
La newsletter joue sur ce que l’on appelle le « permission marketing ». Autrement dit, puisque vous donnez la permission de vous envoyer des emails, vous vous êtes identifiés comme la cible idéale de ces emails. Vous avez donc fait le travail du chef de produit pour lui : joie ! Dans le cas des newsletters, c’est d’autant plus le cas que votre oui est un oui à une personne et non pas une marque. Enfin, c’est ce que certain.es auteurices de newsletters voudraient bien nous faire croire, mais c’est bien à une persona publique qu’on s’abonne et non à une personne privée, et cette personne a d’autant plus de chance de « fidéliser » ses abonnées qu’elle crée sa niche : la critique de mode pour Amy Odell de Back row, la créativité avec un grain de self help pour Emma Gannon dans The Hyphen, ou la critique de l’industrie de la beauté dans le jubilatoire The Unpublishable de Jessica Del Fino. On convertit mieux, paraît-il, quand on reste dans son pré carré, mais aussi quand on sait déjà jouer le jeu. Ce que ces trois autrices de newsletter ont en commun, c’est un passé (et présent) de journaliste, podcasteuse ou écrivaine et une solide communauté qu’elles amènent de leurs expériences passées.
L’industrie de la newsletter, telle qu’elle s’est construite, a été mise en place pour cette catégorie de créateurices de contenus. Quand la plateforme Substack s’est lancée en 2017, elle a immédiatement cherché des journalistes et auteurices et leur a versé un salaire annuel, quel que soit leur nombre initial d’abonnés, pour qu’il.elles se lancent. Ce salaire annuel assuré reposait sur deux hypothèse : la première était que ces auteurices emmèneraient leur communauté sur la plateforme, la deuxième était que leur présence attirerait d’autres personnalités.
Substack est une plateforme sans publicité (pour l’instant). Elle se rémunère à hauteur de 10% des revenus générés par ses membres. Avec 35 millions d’abonnés et 2 millions d’abonnés payants, le CEO avance que leur top 10 a un revenu de l’ordre de 25 millions de dollars. De quoi faire rêver. Hamish McKenzie, le co-fondateur de Substack insiste sur le fait que Substack se rapproche de plateformes comme Twitch et OnlyFans ou Patreon puisqu’ils proposent une multiplicité de formats, notamment des podcasts. Si Substack est accessible sans sélection ni droit d’entrée il y a tout de même une mise en avant de certains profils qui revient, dans les faits, à une sélection. Substack va se reposer sur la célébrité de leurs têtes de gondole pour attirer le quidam (vous et moi),non seulement à s’abonner, mais aussi à créer leur propre newsletter. Néanmoins, la croissance organique de votre newsletter, si elle est possible, rencontre les mêmes écueils que sur les réseaux sociaux. Une audience, ça se travaille.
En France, on n’a pas de pétrole, mais on adore adapter les idées du voisin ! C’est le cas de Kessel, le Substack français dont les CV des cofondateurs, Adrien Labastire et Laure Goudiard du Mesnil, sont bien plus révélateurs que les messages marketing qu’ils égrènent dans les différents articles qui célèbrent le lancement et la croissance de leur société. Quand Laure Goudiard du Mesnil (en charge des opérations) s’enthousiasme, elle en devient presque lyrique :
C’est fou le nombre de gens qui ont des choses à dire, qui veulent le dire par l’écriture. Pour eux c’est un rêve, une vocation. Et nous accompagnons ceux qui portent ce rêve.
Madame Goudiard du Mesnil a passé 18 ans chez Microsoft donc 8 ans dans la vente (mais on dit sales dans la tech). Qu’on ne se leurre donc pas sur ses nobles intentions. L’accompagnement sera conditionné à une performance, à un moment ou un autre. Adrien Labastire quant à lui se contente d’un généreux :
…quand les auteurs sont heureux, nous sommes heureux.
Alors, Kessel, la plateforme des gens heureux ? Heureux, oui, profitables, surtout ! Kessel, comme Substack, est confrontée au défi de réaliser un profit et pour cela, a ont déjà pris le virage de la pub, sous forme de bannière et de publicité native (on appelle ça un post sponsorisé). Attention, cette pub, si l’on en croit les dires de Labastire ne visera bien sûr que des
marques aux enjeux complexes, désireuses d'établir une connexion plus directe et plus intelligente avec leurs publics, sur des sujets pointus (RSE, inclusion, féminisme, innovation, future of work…)
Sentez-vous le fumet délicat du greenwashing et du pinkwashing ?
Malgré tout, c’est une chance de pouvoir rémunérer, presqu’en direct, le travail des créateurices que l’on apprécie. Et vous ? Payez-vous du contenu de créateur ? Avez-vous le réflexe abonnement ?
Des liens pour aller plus loin :
Quand substack essaie de concurrencer Twitter. Depuis, Facebook s’y est mis avec Threads.
La fin des newsletter? Les choses sont plus nuancées dans cet article du New York Times.
Kessel ou la joie de réaliser les rêves des autres.
Quand la joie ne rapporte plus, on passe à la pub.
Substack va-t-il devoir se réduire à passer à la publicité ? Si l’on en croit sa dernière levée de fonds et cet entretien de Brian Morrissey avec Chris Best, le CEO de la plateforme, c’est fort possible.
Hyper intéressant Marion, comme toujours. Je crois qu'en ce qui concerne la création de contenu tout dépend de ce qu'on y met derrière et si notre objectif est commercial in fine ou non.
Je suis abonnée à 2 Patreon, et pour être tout à fait honnête c'est parce que j'en tire un enseignement. Il m'arrive cependant de tipper à gauche a droite. J'aimerais pouvoir financer d'avantage de createurices de contenus, malheureusement, ma bourse de me le permet pas :/
Merci Marion, cleverness as usual !
(n'étant pas fort•e en anglais, je ne trouve pas de terme qui soit du côté de "pertinence, caractère instructif" et qui sonnerait comme business).
Je suivais déjà avec intérêt et attachement l'insta de Louise Morel (NL Grain aujourd'hui ) avant qu'elle ne rebaptise ce compte en y faisant figurer son identité. Aussi, quand Louise avait expliqué bifurquer vers Substack, je l'ai suivie sur ce format (NL).
J'ai pratiqué Tipeee récemment pour soutenir la tête pensante d'un compte IG qui expliquait n'avoir voulu poster qu'après investigation substantielle.