Je sors mon premier essai Patriartech : les nouvelles technologies au service du vieux monde chez Hors d’atteinte le 17 mai. J’ai donc la tête pleine du sujet et de tout ce qui entoure la sortie d’un livre, toutes choses qui, si vous êtes abonné·e·s, devraient vous intéresser.
L’article, lisible via email est plus confortable sur l’application car il y a beaucoup d’images et même un extrait de film…
J’ai testé la fonction sondage à la fin. Joie.
Nous avons toustes subi l’exercice de la photo “officielle”. Cela commence par la photo d’identité, mais aussi la photo de classe. Je me rappellerai toujours de celle de 4ème qui s’accompagnait d’un obligatoire portrait sur un beau fond dégradé bleu. La bouche tordue par l’appareil dentaire que l’on essaie de cacher sous le sourire un peu fébrile, les trois boutons dont on pense qu’ils nous défigurent et surtout la coupe courte bouclée qui suscite les quolibets des charmant·e·s camarades de classe. Souvenir amer et joie du temps qui passe.
Les réseaux sociaux n’ont fait qu’exacerber cette confrontation incessante à notre propre image : naturelle, posée naturellement ou farouchement (franchement?) posée.
Quand j’ai dû me plier à l’exercice de la photo d’autrice, je me suis dit que c’était l’opportunité d’étudier différentes photos d’auteurices. J’ai lu ce passionnant article du New Yorker sur la portraitiste Marion Ettlinger qui dit au sujet de son appétence pour les portraits d’auteurices :
“It became clear to me that this was my subject. I wanted to do this,” she told me. In contrast to the athletes and celebrities that she had cut her teeth shooting, writers “were being photographed because of something interior,” she said, adding, “ It was about their mind, and their soul.”
“Il m’est apparu sans aucun doute que c’était mon sujet. C’est ça que je voulais photographier", m’a-t-elle dit. Par comparaison avec les athlètes et les célébrités sur lesquelles elle s’est fait les dents, les écrivain·es “étaient photographié·e·s à cause de leur intériorité,'“ dit-elle, ajoutant, “C’était leur esprit, et leur âme qui étaient le sujet de la photographie.”
Frisson d’horreur. Je ne veux certainement pas qu’on photographie mon âme. Balzac, quand la photographie a commencé à prendre son essor pensait que chaque photographie enlevait une couche d’âme au sujet de la prise de photo. Je n’en suis pas là, mais il doit bien y avoir un juste milieu.
Je me posée la question de ce qui faisait une “bonne” photo d’auteurice. Comment montrer qui l’on est sans tout révéler. Qu’est-ce qu’une bonne photo de promo ? Puisqu’il est question de promotion, aussi. J’ai donc décidé de mener une (courte, partiale et volontairement biaisée) étude de marché.
Et qui sont les reines de la promo ? Les autrices de romance.
Danielle (Woman of) Steel
Le message me paraît assez clair : I am the romance queen/ Love is money. En 2019, elle en était à 179 livres parus. Si ce n’est pas l’ethos américain du “hustle”, qu’est-ce donc ? Elle a aussi eu 7 enfants. Danielle Steel, j’ai compris, tu es l’image du succès à l’américaine et de l’empouvoirement ascendant white feminism qui dit “Je peux tout faire si je lean in suffisamment !”, mais ton collier de perles cache très probablement une minerve qui t’aide à garder la tête haute malgré tes quatre heures de sommeil (maximum), le mépris de certain·e·s pour la romance et le poids de ta couronne.
Tamara (Socca) Balliana
Tamara est une amie. De wedding planner elle est devenue autrice de romances à succès (puisqu’elle en vit) qui se déroulent souvent (mais pas toujours) dans le Sud-Est de la France. La photo dit “je suis sympa, j’ai la banane, promis je n’écris QUE des fins heureuses” alors que je connais bien Tamara et qu’elle pourrait écrire des thrillers à glacer le sang -elle est profondément diabolique, elle m’a donné le rôle d’un gastroentérologue dans l’une de ses nouvelles…-. Je crois que, comme Danielle Steel, elle a mal au cou, ce qui explique cette position de main. D’ailleurs, c’est là le mystère de bon nombre de photos d’auteurices : que faire de ses mains ?
Je me suis ensuite attaquée aux Prix Nobel et associé·e·s car il·elle·s ont un point commun avec certaines autrices de romance, il·elle·s vivent aussi de leur plume. Et il·elle·s aussi ne savent que faire de leurs mains.
Annie Ernaux-bel
Quel plaisir que ces photos sublimissimes du début des années 80 où Annie Ernaux a un petit air de Meryl Streep. Aucun doute, nous avons affaire à de la photo d’intello. Le doigt pointé vers le cerveau le dit bien “Je réfléchis, moi.” La photo est en légère plongée - très souvent le cas pour les photos d’autrice- fond flouté : je suis un grand esprit qui flotte dans l’éther ! Tant que ce n’est pas dans le formol, tout va bien.
Sur cette deuxième photo, Annie Ernaux a l’air de se retenir de rire -ou bien est-elle saoulée par l’exercice ?. Elle porte une écharpe et un manteau chez elle - les intérieurs de profs-écrivains sont notoirement sous-chauffés du fait de la médiocrité des salaires- et elle se tient à l’échelle de sa bibliothèque. Le message est clair : “Je lis et la hauteur sous plafond de ma mansarde est tellement démente que j’ai besoin d’une échelle pour atteindre les ouvrages de la NRF/ Gallimard que je consulte régulièrement.” Bien sûr, seulement des classiques à couverture blanche.
J’imagine déjà le photographe préparant la photo se dire “Ecrivain… écrivain… papier… papier… crayon… LIVRES !!! Les écrivains écrivent des livres, je vais la faire poser devant sa bibliothèque !”.
Haruki Murakami danse, danse, danse
Ce serait dommage de vous parler de Marion Ettlinger sans vous montrer l’un de ses (très beaux) portraits. Ici, Haruki Murakami. Pas de sourire, un regard frontal, pas de plongée et ce petit look 80s blazer sur t-shirt qui dit sa coolitude à la Don Johnson dans Miami Vice (ah les années 80). J’aime beaucoup que l’on voit ses mains et qu’il porte un t-shirt, son vêtement préféré sur lequel il a d’ailleurs écrit un livre intitulé T:ma vie en t-shirts. Mais cette pose, que nous dit-elle ? “J’ai très envie de bondir hors du cadre, fais vite je dois m’entraîner pour un nouveau marathon car j’aime avoir les pieds en sang ”? Peut-être. Quoi qu’il en soit, la pose me rappelle un bretzel entre les bras croisés, le genoux remonté et le mystère de sa jambe gauche. Est-elle tendue ou pliée comme celle de droite qui, vraisemblablement est posée sur un tabouret (puisqu’on ne voit pas de dossier de chaise)?
Vous aurez remarqué que quatre sur cinq de ces photos sont en noir et blanc. Le petit côté sérieux ? Avec un risque de vieillot. Ceci dit, dans les années 80 avaient-ils seulement la couleur ?
(Inventing) Anna Maria van Schurman
Dans un chapitre du livre Memory and Identity in the Learned World: Community Formation in the Early Modern World of Learning and Science, Lieke van Deinsein s’interroge sur la représentation des femmes en tant qu’intellectuelles, et la construction de leur autorité intellectuelle1. Elle y prend notamment pour exemple le cas d’Anna Maria van Schurman dont la gravure est utilisée par Johan de Brune dans ses essais pour asseoir le fait que les femmes sont aussi des êtres intellectuels et que les voir lire et écrire des livres n’a rien d’indécent. Contrairement à tenir une épée, parce que ça, non ça donne envie de vomir. Jeanne d’Arc était une dégénérée catholique de toute façon (tous ces gens sont protestants) qui a fini en merguez, la preuve.
Voici donc Anna Maria van Schurman qui pose avec un livre (oooh sexy indécent !), en tenue clairement genrée (c’est encore illégal de porter un pantalon certes, mais elle asseoit ici son genre) avec une petite montre - pour montrer qu’elle sait lire l’heure ? Qu’elle est ponctuelle ?- et la cité en fond car elle s’inscrit comme femme de lettres dans la cité. Reconnue comme l’un des femmes les plus brillantes du 17e siècle en Europe, elle va décider de se mettre en scène en choisissant elle-même comme elle veut être représentée. Elle dessine donc son portrait avant que leur gravure ne soit executée par un autre. On est à mi-chemin entre l’autoportrait et le portrait d’intellectuelle.
En 1633, elle avait déjà réalisé un premier autoportrait (gravure) où elle performait aussi sa condition féminine en se représentant dans une tenue très féminine avec bouclettes à propos. La main étant un attribut de la femme qui était considéré comme potentiellement érotique. Anna Maria von Schurman décide sciemment de ne pas les montrer se cachant derrière un cartouche écrit en latin qui montre que les femmes peuvent tout à fait se saisir de la culture classique sans que leur cerveau n’explose. Sans être anachronique, AMvS souhaite être reconnue comme une intellectuelle à l’égal de ses pairs. Oui, elle utilise les outils du maîtres etc… etc…, mais nous sommes au XVIIe siècle. You go girl!
L’une des réactions d’un contemporain à ce portrait fut “Mais pourquoi elle ne montre pas ses jolies mains” ? Le sujet des mains d’autrices revient donc sur le tapis des fantasmes érotiques (principalement) masculins.
Les réflexions de De Brune sur le sujet -je résume l’article- soulignent l’importance de la représentation de femmes autrices, scientifiques dans la constitution et l’acceptation de leur autorité intellectuelle et ce, malgré les remarques péjoratives ou sexualisantes que celles-ci reçoivent.
Je ne vous apprends rien en vous disant qu’il y a un enjeu politique dans la représentation des minorités notamment de genre. J’ai donc approché la question de ma propre photo avec un large poids sur les épaules. Danielle (Woman of) Steel ou (Inventing) AMvS ? Est-ce que je viens de me comparer à l’une des intellectuelles les plus brillantes du XVIIe siècle ?
Marion (Hunt) Olharan Lagan
Le choix de la photographe : Pauline Darley car Pauline est une photographe de talent, mais aussi une copine. Je trouve ses portraits très bienveillants et mes cernes avaient grand besoin de bienveillance.
Le choix de l’un des lieux : Lorsque j’ai dit à Pauline : “On pourrait aller à Palais-Royal” pour les photos en extérieur, elle a tout de suite compris ce à quoi je faisais référence…
Si vous avez deviné Mission impossible: Dead reckoning part 1 Fall out (quelle grave erreur ! Merci Pauline pour ton oeil aiguisé) vous pouvez vous tapoter l’épaule d’un air satisfait. Cela fait partie de ces clins d’oeil ou easter eggs qui font rire l’autrice et la photographe, et c’est essentiel ! Je ne voulais pas faire de photos chez moi, bien que Pauline ait gentiment proposé de se rendre en Bretagne. Je ne pense pas que montrer son intérieur (littéralement) soit un gage d’intériorité profonde.
La pose : En regardant les six photos sélectionnées, je remarque que mes mains sont toujours dans mes poches (pour les empêcher de me gratter le cou ou de pointer mon cerveau ?) et que Pauline ne me prend jamais en plongée. On ne s’est pas dit les choses explicitement, de mémoire, mais le résultat est là.
J’ai déjà partagé les photos qui vont être utilisées pour la promotion sur instagram, mais après vous avoir parlé de Palais-Royal, je ne pouvais pas vous montrer celle-ci.
Et voilà.
van Deinsen, Lieke. “Female Faces and Learned Likenesses: Author Portraits and the Construction of Female Authorship and Intellectual Authority.” Memory and Identity in the Learned World: Community Formation in the Early Modern World of Learning and Science, edited by Koen Scholten et al., Brill, 2022, pp. 81–116. JSTOR, http://www.jstor.org/stable/10.1163/j.ctv2kqwzh0.8. Accessed 18 Apr. 2024.
Photo réussie ! ;)
Mais si drôle !! Ma préf c'est Annie ernaux en manteau devant sa bibliothèque. Sa pose est super chelou et ce sourire forcé fait toute la différence . Beau boulot (et blague à part, tes photos sont super ! Bonne promo !!)