J’essaie quelque chose de nouveau ce mois-ci sur Word Economy : un thème mensuel déployé dans une lettre hebdomadaire plus courte (ahahah). Cette semaine, je vous parle de journaux et de magazines. Si vous voulez lire sur les joies du streaming, c’est ici. A la fin du post, vous pouvez trouver une série de liens vers des articles pour aller plus loin sur le sujet du journal et des magazines.
Voici les chiffres : 85 euros par an, 23 centimes par jour et, contrairement aux réseaux de streaming, je lis tous les jours le journal. Enfin lire… qu’en est-il ?
1) Le journal : un instrument de travail
Il y a une mystique autour du journal qui a pris du plomb dans l’aile avec le 21e siècle. Dans les romans du 19e, des employé*es de maison repassaient le journal avant de l’apporter au maître de maison, jamais la maîtresse, afin que celui-ci ne se tache pas les doigts. Il y avait une élégance rituelle à lire le journal, tourner les pages, tout en buvant son café matinal.
Mais voilà, je ne bois pas de café et la révolution numérique fait qu’il n’y a aucun risque que je me tache les doigts puisque presque tous mes abonnements sont numériques. Je n’ai pas non plus d’employé*es de maison, certes.
Je “lis” trois journaux quotidiennement. J’utilise The Economist pour le travail et pour apporter un contrepoids au New York Times qui serait (avec le Guardian, un journal « gratuit ») ma lecture de choix. Le Monde est un abonnement semi-partagé -autrement dit, j’utilise les codes d’une ancienne connaissance, mais je ne suis pas certaine qu’elle se souvienne me les avoir données-, mais j’avoue surtout survoler les titres pour me tenir au courant.
Comment je lis ? Je lis exclusivement en numérique, principalement sur mon téléphone. Ma lecture est une lecture de survol, je passe beaucoup d’articles avant de trouver ce qui m’intéresse et je cherche plutôt à avoir un vague idée des nouvelles du monde sauf sujet qui m’intéresse. C’est une lecture tabulaire qui est facilitée par l’arborescence du journal -très facile sur le NYT, moins efficace sur le Guardian, militaire sur The Economist. J’utilise mon ordinateur lorsque je prépare des cours ou lis pour mes recherches. Pour le plaisir, je vais privilégier les articles longs, plutôt sur des sujets média, films et télé.
Pourquoi lire ces journaux, pourquoi (ne pas) les payer ? Pourquoi ne pas juste s’informer sur les réseaux où des militant*es, politiques et certain*es journalistes font très bien leur travail ? Sur les réseaux prime une forme de circularité qui ne favorise pas toujours la circulation. Mon travail m’oblige à sortir de ma bulle de filtre, même si je ne crois pas à la neutralité, un mot qui cache trop souvent une pensée dominante et patriarcale, en réalité. The Economist fait très bien le boulot pour voir comment la Macronie internationale pense, tout en ayant un solide « fact-checking » (pour l’instant).
Le journal est le poste de dépense où j’ai le meilleur rapport coût/ temps d’utilisation et ceci car je bénéficie de plusieurs abonnements professionnels. Ils me semblent naturel, puisque mon travail le requiert, que mon employeur paie pour ces abonnements.
J’ai été abonnée à Médiapart et Libération, mais je n’avais pas le réflexe de lire leurs articles sauf exception ou mention sur les réseaux (ils font leur retour). J’aimerais me réabonner à Médiapart qui produit de très bonnes enquêtes longues et n’appartient pas à Xavier Niel (poke le Monde, même si « techniquement », le Monde appartient en partie seulement à un fonds qui lui appartient à Xavier Niel - nuances de la finance qui rassurent ceux qui ont le coeur à gauche et le portefeuille à droite).
En fait, le journal, par la multiplication des nouvelles, tous les jours, toutes les heures, ne correspond pas à la manière dont j’aime lire. J’aime prendre mon temps et c’est là que viennent…
2) Les magazines
Ma mère achetait Femme actuelle, un féminin de classe moyenne économe, puis quand j’étais adolescente Marie-Claire, plus bourgeois que le précédent, mais plus sérieux qu’ Elle, un peu moins visiblement consumériste du moins. J’ai un peu lu 20 ans juste avant que la parution ne disparaisse. Je me rappelle notamment de l’élection de la plus belle lectrice de 20 ans accompagnée d’une élection par morceaux « les plus beaux yeux/ jambes/ cheveux… ». Toutes les gagnantes étaient blanches, blondes à châtains et avaient les yeux bleus. Ah, les joies du postféminisme blanc de la fin des années 90-début des années 2000. J’ai découvert Elle, tard, vers 16 ans, son vernaculaire franglais, ses monceaux de publicité et son ton ouvertement parisien et en ai conclu que je n’étais pas “elle”.
Télérama était l’un des magazines qu’il fallait lire en prépa, surtout quand on la faisait à Paris. Je voyais la parution comme une lecture de gauche caviar, celle de mes camarades élevés dans de beaux appartements du 5e arrondissement. Je continue à le penser - en partie.
J’ai déplacé mon snobisme outre atlantique bien avant que ma profession ne m’y mène avec le New Yorker. (Pot, kettle, I know).
Comment je lis ?
Le magazine est une lecture du week-end, qui me demande de m’y attarder. Les articles sont plus longs, ceux du New Yorker peuvent faire une dizaine de pages soit bien un quart d’heure et parfois plus de lecture. Je ne veux pas lire de la brève, de l’immédiat, je veux m’immerger dans un univers et le New Yorker donne accès à des archives qui remonte au moins aux années 40 puisqu’on peut y trouver “The Lottery” la nouvelle glaçante de Shirley Jackson publié dans leur édition papier en 1948. Des gens biens. Gaze, publié tous les six mois, est un beau magazine, de ceux qu’on garde. C’est ma seule lecture papier (recyclé) ici. J’ai été abonnée dès le premier numéro pour soutenir l’initiative féministe. A ceci s’ajoute que la rédactrice en chef et fondatrice, Clarence Edgar-Rosa, m’a donné ma chance pour mon premier essai dans le magazine à la suite d’un « blind pitch ». Est-ce que ma reconnaissance participe à mon abonnement continu ? Oui, bien sûr, ainsi que le fait qu’il n’y ait “que” deux numéros par an, ce qui me permet de m’immerger sans être submergée.
J’achète parfois la Déferlante, quand la thématique me parle, mais j’ai du mal à le « finir » ce qui témoigne d’une chose : je suis une lectrice de livres avant tout (que je ne finis pas pour autant) et j’ai donc cette obsession de tout lire alors que le magazine invite à picorer. Un autre vaste sujet.
Et vous ? Quels sont vos incontournables ? Y a-t-il encore quelqu’un qui lise le journal en papier (et le repasse)?
Pour aller plus loin :
Les infos sont-elles mauvaises pour la santé (mentale)? Cet article du Monde, écrit par Célia Laborie et daté de novembre 2022 nous en dit plus, sans pour autant nous apporter de solutions toutes faites.
Si vous souhaitez repasser votre journal (papier), voici un guide vidéo.
Les gens qui lisent le journal en papier l’utilisent surtout pour… allumer leur barbecue semblerait-il selon une étude internationale (à l’accès payant), mais résumée ici en anglais.
Ce que le numérique fait à la lecture, Cécile Rabot, Biens Symboliques/ Symbolic goods (7) 2020 : La chercheuse se concentre sur le livre numérique, mais la plupart de ses références sont transposables à la lecture numérique quel que soit le média.
Qui lit les magazines ? Olivier Donnat, Réseaux, 2001 : Cet article nous parle d’un temps que les moins de 20 ans ne peuvent pas connaître, mentionnant entre autre, l’augmentation de la lecture des magazines télé… Pour les nostalgiques.
Le Centre National du Livre publie tous les deux ans une étude sur les français et la lecture - et y parle du numérique, mais pour le livre. Voici les chiffres de 2023.